Nous sommes le 6 décembre 2015. Alors que le gouvernement Maduro a la mainmise sur l’ensemble des pouvoirs publics, l’opposition remporte les élections législatives. Unie en alianza perfecta et surfant sur une crise économique qui prendra des allures de désastre deux ans plus tard, elle inflige au parti gouvernemental, le PSUV
PSUV
Parti socialiste unifié du Venezuela
Le Parti socialiste unifié du Venezuela est le parti politique fondé en 2006 par Hugo Chavez pour remplacer le Mouvement Cinquième République.
, et à ses alliés leur première véritable défaite électorale [1]. Si elle ne remporte « que » 56,2% des suffrages, elle conquiert toutefois 2/3 des sièges de l’Assemblée nationale : 112 élus sur 167. [2] Avec une telle majorité qualifiée, les députés d’opposition peuvent désormais nommer les dirigeants des pouvoirs publics (Cour suprême, Conseil national électoral
Conseil national électoral
Consejo Nacional Electoral
CNE
Le Conseil national électoral est un pouvoir public autonome. C’est l’institution chargée de garantir et superviser le déroulement de tous les processus électoraux.
, etc.), adopter des lois organiques
Lois organiques
Selon l’article 203 de la Constitution, les lois organiques sont élaborées pour organiser les pouvoirs publics ou pour développer les droits constitutionnels et celles qui servent de cadre normatif à d’autres lois.
[3] sans négocier avec le gouvernement ou encore réformer la Constitution. [4]
Si le CNE avalise les résultats et le président Maduro reconnaît sa défaite au soir de l’élection, la fin de législature semble montrer que le « chavisme Chavisme Le terme « chavisme » est utilisé pour décrire le(s) courant(s) politiques revendiquant l’héritage de Hugo Chavez, décédé en 2013. post-Chávez » [5] n’entend pas jouer le jeu de la « cohabitation » avec une opposition qui croit son heure (re)venue et qui compte en découdre.
Au cours du mois qui sépare le jour du scrutin, le 6 décembre 2015, et l’entrée en fonction des nouveaux députés, le 5 janvier 2016, le pouvoir renforce en catimini son contrôle de la Cour suprême par des nominations très contestables. Lors de sessions extraordinaires de l’Assemblée, la majorité sortante nomme treize nouveaux magistrats et vingt-deux suppléants. L’initiative fait évidemment polémique car la procédure n’est pas respectée. Certains de ces magistrats sont très marqués politiquement, certains n’ont pas le CV adéquat, d’autres font l’objet d’enquêtes et certains juges en place ont été mis de force à la retraite.
Parallèlement à ces nominations, des candidats oficialistas non élus contestent les résultats électoraux. C’est le cas de l’ex ministre Nicia Maldonado [6] qui, le 29 décembre, dépose un recours devant la Salle électorale de la Cour suprême. Elle dénonce un achat de votes que prouverait une conversation privée enregistrée illégalement impliquant la secrétaire de la gobernación de l’état d’Amazonas. Le lendemain, répondant avec une rapidité peu coutumière, la Cour décide de suspendre l’élection de quatre députés - trois opposants et un chaviste [7] - alors que leur victoire a déjà été proclamée par le CNE et qu’ils devraient bénéficier de l’immunité parlementaire [8].
Avec trois députés en moins, l’opposition perd de justesse sa majorité qualifiée et partiellement son pouvoir constitutionnel d’entraver l’action gouvernementale.
Le 5 janvier, lors de son entrée en fonction, la nouvelle majorité parlementaire fait malgré tout prêter serment aux trois députés de son camp [9], le quatrième, oficialista
Oficialista
Oficialismo
Oficialismo, le gouvernement. Oficialista, partisan du gouvernement.
, ne se présentant pas. Le conflit inter-institutionnel tant annoncé devient réalité. La Cour suprême menace l’Assemblée si elle n’écarte pas les trois députés en question. Elle s’exécute. Les mois passent et aucune enquête ou décision judiciaire ne vient éclaircir l’affaire. Y a-t-il eu achat de votes ou pas ? Les électeurs de ces quatre députés sont privés de représentation parlementaire.
Le 28 juillet 2016, l’Assemblée décide finalement de les réincorporer. Trois jours plus tard, la Cour suprême met sa menace à exécution et déclare officiellement en desacato, en situation d’outrage, l’Assemblée nationale. Le conflit politique se judiciarise. L’exécutif contre le législatif avec un arbitre qui n’en est pas vraiment un : la Cour suprême. Les actes de l’Assemblée n’ont plus de valeur juridique. Ses lois ne passent plus le filtre de la Cour suprême qui, fidèle au gouvernement, dictent contre elle et ses initiatives des dizaines d’ordonnances. C’est sur base de ce desacato que fin mars 2017, la Cour suprême, encore elle, adoptera deux décrets polémiques qui seront le détonateur des quatre mois de violences du printemps 2017 au terme desquels le pouvoir fera élire une Assemblée nationale constituante (ANC). Celle-ci remplace de facto l’Assemblée nationale et légifère sur ordre des clans gouvernementaux.
A ce jour, aucune sentence n’est venue confirmer ou infirmer les irrégularités qui auraient entaché l’élection des quatre députés. La seule certitude, c’est que le pouvoir législatif a été mis hors état de nuire au gouvernement, une situation à la source des nombreuses sanctions qui isolent et étranglent aujourd’hui le pays.
Au Venezuela, la justice électorale ne répond plus !
I . La cohabitation sabordée
II . Le référendum suspendu
III. La souveraineté populaire usurpée
IV. La fraude au grand jour
V. La rébellion masochiste et obéissante du Communard