Il y un an, le gouvernement de Nicolás Maduro était confronté à une vague de protestations sans précédent. S’il a su manoeuvré habilement pour reprendre le contrôle de la situation en interne, on ne peut pas en dire autant au niveau international où son isolement est grandissant. En témoigne le fait que 15 gouvernements d’Amérique latine, les Etats-Unis, le Canada et l’Union européenne ont déjà décidé de ne pas reconnaître la légitimité du scrutin présidentiel du 20 mai prochain. Entre Bruxelles et Caracas, la détérioration des relations a pris une tournure très concrète à l’automne dernier.
Le prix Sakharov décerné à l’opposition
Le 26 octobre 2017, le Parlement européen a octroyé le prestigieux Prix Sakharov des droits de l’homme 2017 à l’« Opposition démocratique au Venezuela » et en particulier « à l’Assemblée nationale et tous les prisonniers politiques » [1] Ce prix décerné chaque année n’a que valeur de symbole mais il reflète le changement de ton.
Dés 2015, le réseau européen VenEuropa [2], dont la dirigeante a été citée comme informatrice de la police politique colombienne sous la présidence d’Uribe [3], avait lancé une pétition [4] et récolté des soutiens parlementaires pour que le prix soit accordé à l’opposition. Mais les conditions n’étaient pas encore mûres à l’époque. Depuis, le gouvernement Maduro a multiplié les sorties de route constitutionnelle avec l’exclusion de plusieurs partis du jeu politique [5], l’annulation du référendum révocatoire Référendum révocatoire La Constitution de 1999 (art. 72 CRBV) a introduit le mécanisme de référendum révocatoire. Selon une procédure précise, les citoyens peuvent convoquer un référendum révocatoire contre tout élu arrivé à la moitié de son mandat . Un tel référendum a eu lieu contre le Président Chavez en 2004. Il l’a emporté. Celui que voulait organisé l’opposition en 2016 a été annulé pour de supposées fraudes lors de la phase de collecte de signatures. [6], les manipulations du calendrier électoral et la détérioration des conditions de compétitivité, la violente répression des mobilisations de rue de l’opposition ou encore la mise hors-jeu de l’Assemblée nationale et son remplacement de facto par une Assemblée nationale constituante, tout cela dans le contexte d’une terrible crise qui provoque - c’est inédit pour le pays - une vague d’émigration sans précédent.
Au travers de ce choix politique dont la paternité revient surtout aux eurodéputés libéraux et conservateurs, ce ne sont pas tant les personnalités des opposants qui ont été récompensées - des politiciens sans grande envergure dont certains comme Antonio Ledezma ont un passé pour le moins polémique en matière de respect des droits humains [7] -, mais les actions du gouvernement vénézuélien qui sont pointées du doigt.
L’Europe passe à l’action
Le 13 novembre, l’UE a adopté pour la première fois des sanctions « sélectives, graduelles et réversibles » contre Caracas. Par unanimité, le Conseil européen a décidé d’imposer « un embargo sur les armes et les matériaux connexes susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne » et d’adopter un cadre juridique pour sanctionner individuellement des dirigeants vénézuéliens. [8]
L’Europe a justifié ses mesures par sa volonté de faire pression en faveur d’un processus de dialogue « crédible et constructif », pour le respect des institutions démocratiques, l’adoption d’un calendrier électoral complet, la libération de tous les prisonniers politiques et pour autoriser une aide humanitaire dans le pays afin d’aider une population en souffrance du fait des pénuries de médicaments et d’aliments. [9] A l’exception de cette dernière demande, il s’agit surtout d’exiger de Caracas le respect de l’État de droit et donc de la Constitution bolivarienne (1999). Ces sanctions pourraient être annulées rapidement si la situation dans le pays évoluait positivement selon les critères des 28 qui, dans les faits, appuient les revendications de l’opposition.
Un embargo sans véritable impact commercial
En imposant un embargo sur les armes, le Conseil européen a interdit pour une durée d’un an renouvelable aux compagnies européennes de défense de faire des affaires avec le gouvernement de Nicolás Maduro … sauf pour des contrats signés avant le 13 novembre 2017. [10] Le Venezuela se retrouve ainsi sur la même liste que la Syrie et la Corée du Nord.
La mesure n’a pas manqué de faire réagir Noam Chomsky. « L’idée d’imposer un embargo sur l’armement au Venezuela alors qu’on refuse d’en imposer un contre l’Arabie saoudite relève de la caricature, affirme le célèbre linguiste états-unien qui dénonce « les assauts meurtriers de l’Arabie saoudite sur le Yémen » [11] Difficile de lui donner tort. Si une certaine opacité règne sur les dépenses militaires vénézuéliennes [12], certains chiffres montrent que l’UE n’est qu’un fournisseur d’armes marginal du pays caribéen [13]. Il n’en va pas de même pour l’Arabie saoudite qui est notamment le principal client de l’industrie wallonne d’armement. [14] ou qui a signé des contrats pour 7 milliards € avec la France de 2012 à 2017 (Voir l’animation d’Arte info d’avril 2018 ci-dessous). En février 2016, le Parlement européen a voté une résolution sur la situation au Yémen appelant la Haute représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini, « à œuvrer pour imposer un embargo européen sur les armes à l’Arabie saoudite ». Il n’y a pas eu de suite. [15] Toutefois, l’absence de mesures contre le régime wahhabite ne délégitime pas pour autant celles adoptées contre Caracas, qu’on y soit favorable ou pas.
Si les achats vénézuéliens ne pèsent guère pour l’Europe, le Venezuela est toutefois un important acheteur d’armement. Il aurait même été le premier en Amérique du Sud en 2016 avant que sa situation économique ne vienne faire chuter ses commandes. [16] Ce sont la Russie et dans une moindre mesure la Chine qui se partagent le gâteau. Au cours des dix dernières années, 65% de l’armement acheté par Caracas l’ont été à l’allié russe. Et le pays caribéen envisage de construire en 2018 des usines de fabrication de la tristement célèbre Kalashnikov. [17]
A titre d’anecdote, le Venezuela a acheté en 2016 des bombes, grenades, missiles torpedos et autres projectiles aux Etats-Unis pour une valeur de 2,3 millions $. Cela peut sembler paradoxal au vu des relations exécrables entre les deux pays. [18]
Les premiers dirigeants sanctionnés
Le 13 novembre 2017, en plus de l’embargo sur les armes, les ministres des Affaires étrangères européens se sont mis d’accord sur un cadre juridique permettant à l’UE de sanctionner individuellement des dirigeants vénézuéliens. Comment ? En gelant leurs actifs et en empêchant leur entrée sur le territoire européen. Ces sanctions étaient déjà attendues pour Noël [19]. Ce ne fut donc pas une surprise quand la liste fut rendue publique le 22 janvier. Elle comprend sept noms, ceux de dirigeants des pouvoirs publics vénézuéliens et celui que l’on décrit souvent comme le n°2 du régime, Diosdado Cabello. [20] Cette liste noire vient s’ajouter à celles déjà bien étoffées des Etats-Unis [21] et du Canada [22]. Le 8 février 2018, une résolution des députés européens a demandé d’élargir cette liste au Président Maduro, au Vice-président et à leur entourage, « parents inclus ». [23]
L’Espagne à la manoeuvre
Pour obtenir la nécessaire unanimité européenne pour l’adoption des sanctions, et alors que certains pays, comme le Portugal ou la Grèce, trainaient la patte [24], l’action du gouvernement espagnol de Mariano Rajoy fut décisive. Entre Madrid et le « chavisme Chavisme Le terme « chavisme » est utilisé pour décrire le(s) courant(s) politiques revendiquant l’héritage de Hugo Chavez, décédé en 2013. », les relations ont presque toujours été tendues, voire même électriques lorsque le Parti populaire est aux commandes. Le soutien apporté par José María Aznar au coup d’Etat avorté d’avril 2002 contre le gouvernement d’Hugo Chávez est à la source de cette animosité dont l’actualité récente a encore rendu compte : le soutien du Venezuela aux indépendantistes catalans [25], l’accueil chaleureux offert par Mariano Rajoy au fugitif Antonio Ledezma [26] ou la récente et brève rupture diplomatique entre les deux pays avec expulsion des ambassadeurs respectifs. [27]
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Frédéric Lévêque , 3 décembre 2017 -
Selon El Independiente, c’est le gouvernement espagnol qui a le premier proposer l’adoption de « sanctions concrètes, individuelles et sélectives » fin juillet 2017, à la veille de l’élection controversée de l’Assemblée constituante. [28] Bien plus que dans d’autres pays, le Venezuela occupe une place de choix dans l’actualité espagnole. Le PP, au pouvoir, est à l’avant-garde de la lutte contre le gouvernement vénézuélien. Dans l’opposition, certains dirigeants de Podemos sont d’anciens conseillers du président Chávez. Et les deux anciens Premier ministre socialistes, Felipe González (1982-96) et Jose Manuel Zapatero (2004-11), ont joué un rôle dans la crise politique du pays caribéen, le premier comme conseiller des avocats du « prisonnier politique » Leopoldo Lopez, le second comme médiateur lors des récentes négociations.
Zapatero dans la tourmente
Ces négociations entre gouvernement et opposition se sont tenues en République dominicaine du 1er décembre au 7 février. Dans une lettre publiée au lendemain de la rupture du dialogue, l’ancien Premier ministre espagnol a appelé l’opposition à signer la dernière proposition d’accord présentée par le gouvernement. Lui qui a d’abord été appelé par l’UNASUR
Union des nations sud-américaines
UNASUR
L’Union des nations sud-américaines, fondée en 2008 et anciennement connue sous le nom de Communauté sud-américaine des Nations, est une organisation intergouvernementale intégrant deux unions douanières présentes en Amérique du Sud, le Marché commun du Sud (Mercosur) et la Communauté andine (CAN). Elle était composée des douze États d’Amérique du Sud.
En 2017, l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Paraguay et le Pérou ont suspendu leur participation à l’organisme. L’Équateur a suivi en 2019, ce qui a plongé l’organisme, déjà paralysé par les tensions politiques, dans une crise terminale.
En mars 2019, les présidents conservateurs Sebastian Piñera (Chili), Ivan Duque (Colombie), Mauricio Macri (Argentine), Jair Bolsonaro (Brésil), Lenin Moreno (Equateur), Martin Vizcarra (Pérou) et Mario Abdo (Paraguay), ont lancé, sur une idée de la Colombie, une nouvelle organisation PROSUR à laquelle le Venezuela n’a pas été invité à se joindre.
, et qui a reçu ensuite le soutien du Vatican et de l’UE, a accompli une quarantaine de voyages transatlantiques depuis 2016 pour rapprocher les parties et a reçu pour sa lettre polémique une volée de bois vert dans la presse où il a été accusé d’avoir failli comme médiateur et de pencher en faveur du gouvernement vénézuélien. Deux mois plus tard, l’ancien Premier ministre a explicitement porté la responsabilité de l’échec des négociations sur Julio Borges, le négociateur de l’opposition, lauréat du Prix Sakharov en tant qu’ancien président de l’Assemblée nationale. [29]
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Frédéric Lévêque , 26 mars 2018
M. Zapatero manque-t-il de neutralité ? L’opposition le considère avec méfiance. Il est par contre fort apprécié par Caracas. En effet, M. Zapatero aurait essayé de retarder la publication de la liste européenne des dirigeants sanctionnés car elle ne favorisait pas le dialogue alors en cours. Il n’a pas tort ! Comme l’explique El Independiente [30], il en fit la demande à Federica Mogherini le 15 janvier, mais le gouvernement espagnol l’aurait court-circuité. [31] Caracas l’a proposé pour mener une éventuelle mission d’accompagnement et d’observation du scrutin présidentiel du 20 mai. Il y sera finalement en tant qu’accompagnateur international. [32] Plus troublant, se sachant dans la tourmente, M. Zapatero a participé peu après la rupture des négociations à un meeting de soutien à la réélection controversée d’Evo Morales [33], un allié de Caracas, avec Podemos. Tout récemment, il a aussi dénoncé par voie de presse la politique du « deux poids deux mesures » dont serait victime le gouvernement vénézuélien. [34]
Une condamnation qui dépasse les clivages politiques
Au regard des dispositions états-uniennes adoptées l’été dernier, les mesures européennes font encore pâle figure. Alors que les Etats-Unis étranglent le gouvernement de Nicolás Maduro en mal de liquidités en l’empêchant de contracter de nouvelles dettes sur les marchés financiers et envisagent même un embargo pétrolier, l’Europe envoie surtout un message de désapprobation sur l’évolution du régime. La force des sanctions européennes ne résident pas tant dans leur contenu mais dans le fait que le régime vénézuélien ait réussi à faire presque l’unanimité contre lui au sein de l’UE. En témoigne la résolution du Parlement européen adoptée le 3 mai 2018 demandant la suspension du scrutin présidentiel. [35] L’analyse du vote est révélatrice puisque la condamnation va bien au-delà de la droite et de la social-démocratie. Même au sein de la Gauche unie européenne (GUE, communistes et « gauche de la gauche »), on compte des votes pour ou des abstentions.
Une présidentielle contestée
Nombreux sont les gouvernements et observateurs de la crise vénézuélienne à estimer que Caracas a instrumentalisé les négociations pour gagner du temps alors que celles-ci visaient notamment à garantir des conditions électorales équitables. Leur échec et la décision unilatérale du gouvernement d’avancer au 20 mai la présidentielle - elle a lieu traditionnellement en décembre [36] - ont hypothéqué toute reconnaissance de la légitimité du scrutin présidentiel par l’UE et une partie de la communauté internationale.
Le 13 avril dernier, Jorge Arreaza, le ministre des Affaires étrangères vénézuélien et par ailleurs gendre de feu Hugo Chávez, est venu à Bruxelles plaider la cause de son gouvernement devant Federica Mogherini. En vain à en croire le communiqué que celle-ci publia quelque jours plus tard. L’UE « se tient prête à réagir au travers de mesures appropriées à toute décision ou action qui continuerait à saper la démocratie, l’État de droit et la situation des droits humains dans le pays ». [37] Le Conseil national électoral, dont la présidente Tibisay Lucena se trouve sur la liste des dirigeants sanctionnés par l’UE, a toutefois invité Federica Mogherini à venir voir le scrutin par elle-même. L’Europe, en tant qu’institution, ne sera pas présente au scrutin.
Indéniablement, rien ne va plus entre l’UE et le gouvernement vénézuélien. La probable victoire de Nicolás Maduro - c’est ce qu’estiment 70% de la population [38] - devrait ouvrir la porte à de nouvelles sanctions. Caracas dispose toutefois encore de certains alliés de poids comme la Chine et la Russie, mais pour garder ce soutien, le régime vénézuélien a intérêt à honorer ses dettes et les livraisons de pétrole dont la production est en chute libre.