Prenant réellement le pouvoir en 2003, Hugo Chávez et son gouvernement repositionnent l’Etat au centre de l’économie, reprennent le contrôle de secteurs stratégiques (ciment, télécommunications, sidérurgie) et financent à coup de microcrédits un boom des coopératives dans les services, la pêche et l’agriculture. C’est cependant au niveau social que l’offensive gouvernementale est la plus marquante. Ses programmes sociaux, les misiones
Misiones
Les misiones sont les programmes sociaux d’alphabétisation, de santé et d’éducation notamment, lancés par le gouvernement vénézuélien à partir de 2003.
, dispensent soins de santé, éducation et formations socioprofessionnelles gratuites.
Malgré de nombreux défauts de gestion et cas de corruption, cette politique marque des points. L’analphabétisme est éradiqué, la pauvreté qui touche plus de la moitié de la population en 2003 tombe de moitié en 2008, le salaire minimum (450 dollars en septembre prochain) est nettement rehaussé, même si l’inflation
Inflation
Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donné.
importée grignote le pouvoir d’achat.
Trocs
Au plan diplomatique, le Venezuela s’adosse à son précieux pétrole pour multiplier les initiatives. Son credo : encourager les coopérations Sud-Sud et réhabiliter le bon vieux troc. Avec Cuba, il échange 80 000 barils de brut par jour contre l’envoi de milliers de médecins dans ses quartiers populaires. Plus ambitieux, mais moins connu, le Venezuela fournit également au travers de l’accord Petrocaribe
Petrocaribe
Initiative du Venezuela qui permet à 14 pays de la Caraïbe, étranglés par les prix internationaux des hydrocarbures, d’acheter leur pétrole au Venezuela à tarif préférentiel (avec facilités de paiement et crédits pouvant aller jusqu’à 25 ans).
du pétrole à prix préférentiel à 20 pays d’Amérique centrale et des Caraïbes.
Chávez noue également un troc inédit avec Ken Livingstone, le très progressiste maire de Londres. Caracas fournit du pétrole à prix bradé à la capitale britannique, ce qui lui permet de donner un accès préférentiel aux transports publics à 250 000 Londoniens, contre l’ouverture à Caracas d’un bureau d’expertise municipale sur les matières concernant le recyclage, l’urbanisme et les transports. Les conservateurs, qui ont conquis Londres en mai dernier, ont brutalement rompu cet accord.
Plus provocateur, le Venezuela a également engagé des actions sociales aux Etats-Unis. Citgo
CITGO
CITGO est la filiale de PDVSA aux États-Unis.
, la filiale de PDVSA, fournit à 220 000 familles du combustible soldé à 40 %, au travers d’un programme de l’organisation Citizens Energy Corporation dirigée par Joseph P. Kennedy II en personne, le fils de Bob Kennedy.
Petróleos de Venezuela, une vache à lait
Petro
Petro
Créé en 2017, le Petro est un « cryptoactif » émis par l’État vénézuélien. Sa valeur serait garantie par l’équivalent de cinq milliards de barils de pétrole gisant sous le sol d’un grand bloc situé dans la ceinture de l’Orénoque, le plus grand réservoir de pétrole de la planète. En l’acquérant, le propriétaire d’un Petro acquerrait par la même occasion les droits sur un baril de pétrole dudit bloc.
Le projet soulève deux problèmes. Une fois dépouillé des néologismes liés au monde de la cryptomonnaie — à la mode il y a quelques années —, le petro ressemble étrangement à une simple émission de dette souveraine. Or, pour être légale, toute nouvelle émission requiert l’approbation de l’Assemblée nationale, avec laquelle le gouvernement vénézuélien se trouve en conflit ouvert depuis qu’elle est contrôlée par l’opposition. En outre, la production pétrolière suit une courbe descendante sans donner de signe de rebond ; cela complique l’estimation de la valeur d’un pétrole encore sous terre, dont l’extraction future nécessiterait de lourds investissements que Caracas ne peut pas se permettre à l’heure actuelle. De fait, le bloc Ayacucho 1, apporté en garantie du petro, ne produit toujours rien.
Source : Temir Porras Ponceleón, Le Monde diplomatique, novembre 2018.
́leos de Venezuela s.a. (PDVSA
PDVSA
Petróleos de Venezuela
Petróleos de Venezuela SA est la compagnie nationale publique de pétrole du Venezuela.
) est créé en 1976, suite à la nationalisation du secteur, au moment où le baril est au plus haut. Les pétrodollars affluent alors au pays et, dans leur sillage, les illusions de développement et de consommation. Mais le mirage du « Venezuela saoudien », comme on l’appelle à l’époque, ne dure pas. La crise économique, qui frappe l’Amérique latine dans les années 80, touche également le Venezuela.
D’autant que profitant de la paralysie qui s’est emparée de la vie politique, PDVSA, gérée par des cadres issus des majors du secteur, s’attache à s’émanciper de la tutelle publique. Alors que l’entreprise versait les deux tiers de ses bénéfices au Trésor public à sa création, elle n’en verse plus que le tiers en novembre 1998, lorsque Hugo Chávez arrive au pouvoir. Celui-ci fera donc tout pour ramener l’entreprise dans le giron des autorités publiques par une réforme constitutionnelle et la promulgation d’une loi sur les hydrocarbures qui marquent les premières années de sa présidence. Les réformes engagées suscitent cependant de fortes résistances parmi les cadres de la société. En avril 2002, elles provoquent une grève suivie d’un bref coup d’Etat qui écarte Chávez du pouvoir durant deux jours, avant que celui-ci ne réintègre ses fonctions sous la pression de la rue. En décembre de la même année, les cadres de PDVSA lancent un dernier mouvement de grève de deux mois. Celui-ci, particulièrement dur, s’accompagne d’opérations de sabotage de l’appareil productif et du blocage des ports, afin d’empêcher le pétrole de de sortir du pays. Non soutenu par les syndicats, le mouvement échoue cependant à faire tomber le gouvernement, mais il laisse l’économie exsangue. La production s’est effondrée de 99%, faisant perdre, selon les estimations entre 8 et 14 milliards de dollars au pays. L’échec de la grève est suivi d’une vague de licenciements qui écarte près de la moitié des 42 000 employés.
Reprenant le contrôle de la compagnie, le gouvernement relève le niveau des royalties et des impôts sur l’exploitation pétrolière, impose une participation majoritaire de l’entreprise dans toutes ses associations avec des compagnies étrangères et met certaines d’entre elles en redressement fiscal.
PDVSA devient également le principal exécuteur des politiques gouvernementales. Ses investissements sociaux passent de 548 millions de dol- lars en 2003 à presque 14 milliards de dollars en 2007. Il élargit son champ d’action à une série d’autres secteurs : la distribution à prix subsidié de produits alimentaires, l’assainissement de rivières, la production d’électricité, la culture et l’industrie laitière. Son personnel est passé depuis à 61 900 salariés, en plus des sous-traitants.
Menace de Washington
L’effondrement du prix du baril [1] dans le sillage de la récession mondiale rappelle aujourd’hui la fragilité du Venezuela. Le président Chávez a beau répéter que « la révolution ne reculera pas, même si le prix du baril arrive à zéro », le mouvement pourrait s’enrayer faute de fonds. D’autant que les Etats-Unis, premier client du pétrole vénézuélien, annoncent leur intention de rompre tout lien avec le bouillonnant président latino.
Hugo Chávez s’était ouvertement opposé à la politique de George Bush, condamnant d’abord ses interventions en Irak et en Afghanistan, se rapprochant ensuite de pays guère en odeur de sainteté à Washington, comme Cuba, l’Iran ou la Russie. Les tensions entre les deux pays avaient atteint leur paroxysme en 2002, lorsque l’administration Bush apporta son soutien aux putschistes qui avaient brièvement renversé Chávez.
Durant la course à la présidence, le candidat Obama affirmait déjà dans son Plan énergie vouloir rompre les approvisionnements en provenance du Moyen-Orient et du « Venezuela de Chavez », seul pays et seul président nommément cités dans le document. Après son investiture, Barack Obama a encore précisé ses intentions en se donnant dix ans pour se passer du pétrole vénézuélien. Une alternative serait de remplacer une partie du pétrole par de l’éthanol produit au Brésil, un autre pays latino-américain, bien plus fréquentable aux yeux de Washington. Les présidents étasunien et vénézuélien se sont cependant serrés la main lors du Sommet des Amériques, en avril dernier. Un début de réchauffement diplomatique ?
Mais les menaces américaines ramènent le Venezuela à sa propre dépendance vis-à-vis de ses exportations pétrolières. Il y a longtemps que la formule de l’écrivain vénézuélien Arturo Uslar Pietri de « semer le pétrole », autrement dit d’utiliser la rente comme une semence fertile pour diversifier l’économie, insuffler un véritable développement et finalement marquer l’indépendance du pays, taraude les consciences. Mais, se désole Edgardo Lander
Edgardo Lander
Edgardo Lander est membre de la Plateforme de défense de la Constitution, professeur à la retraite de l’Université centrale du Venezuela (UCV). Il fait partie du groupe de travail permanent de la Fondation Rosa Luxembourg (bureau de Quito). Il travaille sur les alternatives au développement et est associé au Transnational Institute dont le siège se trouve Amsterdam.
, un intellectuel proche du gouvernement Chávez, la stratégie actuelle de développement du pays s’adosse à l’idée « du Venezuela comme grande puissance énergétique ». Mais sous couvert de semer le pétrole, elle se borne à assurer « une large expansion de l’industrie pétrolière ».